bruno V.

 

 

Le porte bonheur

 

C'était curieux ce filet d'eau que j'entendais se promener dans les tuyaux de ma salle de bain. Jusqu’alors, je n'avais jamais porté une attention particulière à ce sifflet aquatique qui semblait provenir de chez mes voisins. Cette mélodie caverneuse m’intrigua le temps de ma toilette.

 

Comme très souvent, lorsque je prépare mon petit- déjeuner, je donne un coup d'œil furtif vers l'océan au cas où un hurluberlu aurait eu la mauvaise idée de le vidanger durant la nuit, pour le filtrer et le dépolluer. Je fus immédiatement happé par une coulée d'eau qui jaillissait de mon garage avec puissance et s'écoulait librement dans la cour, cherchant à rejoindre, coûte que coûte, la plage afin d’y retrouver le plaisir des jeux de cache-cache avec le rivage.

 

Il m'apparaissait comme évident que l'appel du grand large donnait à cet écoulement limpide un air frais de liberté. En revanche, je ne sais pour quelles raisons, la chèvre de Monsieur Seguin me vint à l’esprit. L’appel de la liberté ou du grand large justifiait-il l’analogie ?

 

Je reste tout de même pragmatique : cette vision romanesque dura peu. J’associai immédiatement le tintamarre jazzant dans les tuyaux de mon appartement au geyser provenant de mon sous-sol. Oh là là ! En poussant la porte qui mène au garage je pus constater rapidement les dégâts. Le tuyau d'arrosage avait lâché. Il arrosait en toupie toute la partie basse de la maison comme une fontaine animée. Quel spectacle ! Si tôt le matin ? Pas vraiment le meilleur moyen de me mettre de bonne humeur ! Je suis allé, à contre-courant, fermer le robinet et j'ai raclé, raclé... et encore raclé. L'eau s'était infiltrée dans les murs, le plafond ; elle s’était incrustée dans la moindre fissure et matière poreuse mais également dans les réceptacles se trouvant dans son point de mire. Elle lava une nouvelle fois mon linge qui séchait sur des fils à hauteur d'homme ou de femme mais, le plus contrariant, elle imbiba mes différentiels électriques : cela aurait pu être le feu d’artifice chanté par Brigitte Fontaine dans son album explosif prohibition.

 

Tout objet identifié ou ayant perdu toute identification s'était imprégné de l'or transparent. Pour redonner à mon garage un aspect convenable, il me fallut deux bonnes heures. Je l'avoue, c'était presque agréable, en tenue légère, cette ambiance rafraîchissante qui se heurtait aux tous premiers rayons chauds du soleil, mais j’étais pressé, je devais m’activer. A cette remise en état matinale et expresse s'ajoutait une contrariété et pas des moindres : durant toute l'année, je fais preuve de vigilance pour gérer l'eau et l'économiser. Ce qui me motive ? En premier lieu, l'impact écologique du traitement de l'eau ; en second lieu le défi personnel de me satisfaire de peu dont l’objet est de m'entraîner à une future retraite ascétique ; et en dernier lieu les économies financières non négligeables au regard de mon pouvoir d'achat réduit depuis plusieurs années déjà.

 

Dans un premier temps j'avais évalué le sinistre à 50m3 ce qui représentait plus d'un litre à la seconde. J'étais plus que décontenancé. Puis en raisonnant je suis arrivé à la conclusion que cela était impossible car mon tuyau d'eau n'est pas un Kärcher. Après des calculs plus savants, j'obtenais un total de 7,2 m3. J'avais pu estimer l’heure de début et de fin de mon spectacle aquatique à Acotzaquaparc. Au final cela faisait dix heures de fontaine continue en sous-sol soit 600 minutes * 12 litres soit 7,2 m3. Ce chiffre entamait sérieusement mon objectif de 40 m3 sur l'année.

 

Après deux bonnes heures de trempette, j'ai repris la croisière de mon petit-déjeuner. En me rasant, nouvelle déconvenue. Attentat en direct devant le miroir. Le néon qui m'éclaire m'explose en pleine face ! Les quelques éclats sur les verres de mes lunettes témoignent à eux seuls de la puissance de l'impact ! Sans aucune sommation, boum ! Vraiment, il y a des valeurs qui se perdent ! Doit-on cependant se recoucher et zapper la journée, l'occulter, la faire disparaître en ne lui donnant aucunement corps ? La gommer d'avance ? Jamais deux sans trois ?

 

J’ai préféré provoquer le destin pour connaître quelle serait la troisième mésaventure de la journée plutôt que de rester dans mon lit douillet. La journée s'est passée tranquillement, occupé à régler les conséquences d’une erreur de l’URSSAF qui avait bloqué nos comptes associatifs par une saisie attribution, et qui nous avait plongés dans une situation de stress digne d’un naufrage en mer. Après quelques échanges plus que houleux, j’ai pu obtenir le remboursement total des frais engagés ou signifiés mais j’ai aussi constaté que derrière la pieuvre à recouvrement se trouvait néanmoins des êtres humains qui sont aussi désemparés par la pression que l'on exerce sur eux, depuis quelques années. J’ai ressenti leur ras-le-bol lancinant : celui d’être éprouvés par le fait de n’être que les pantins de décideurs en col blanc qui ne mettent jamais leurs mains dans le pétrin.

 

Je ne considérais pas cet événement comme la troisième épreuve. Ce n'était pas assez flagrant, trop continu et puis les faits étaient antérieurs à la journée.

 

Vers 19 heures, j’ai quitté les bureaux de l’association pour rentrer chez moi. En longeant les plages dorées comme un joli pain exposé chez le boulanger, il m’est venu l’idée de me baigner une seconde fois cet été. Je choisis sans hésiter Guéthary pour sa tranquillité.

 

D'habitude, je ne ferme jamais à clefs ma voiture, mais transportant un ordinateur je me résignai à la barricader. Sans maillot, ni serviette, je mis mon corps dans l'immense bénitier. Après 10 minutes de bouillon tiède, j’ai repris mes affaires et j'ai rejoint ma ferraX qui m'attendait gentiment sur le parking de la plage de Cénitz. Sauf que... Bah oui, vous avez deviné, j'avais perdu mes clefs. Deux heures durant, j'ai cherché, sur la plage, sous les rochers, fouillant le moindre recoin, une trace éventuelle de mon porte-clefs.

 

Malgré ma persévérance, je me suis résigné, la nuit tombante, à rentrer à pied. En arrivant chez moi, j'ai regardé si je n'avais pas un double de la clef, en sachant pertinemment que je l'avais perdu lors d'un voyage il y a quelques mois. C'est idiot mais une clef ressemblait tellement à ce double de clef que j’ai cru qu'elle était revenue par enchantement, et je me suis convaincu sur le moment que je m'étais certainement égaré dans un souvenir biaisé par je ne sais quel court-circuit cognitif. L'âge peut-être ? Je suis donc reparti allègrement, rappelant quelques contacts proches pour leur exprimer ma joie, eux qui avaient été si bienveillants à m'écouter raconter mon désagrément.

 

Mais à une centaine de mètres de mon auto, mes synapses se reconnectant, j'ai été plus que saisi par le doute. Ma clef de voiture était plate et celle que j'avais entre les mains était bien trop sophistiquée pour être celle de remplacement. Effectivement, en la présentant devant la serrure, je constatai avec découragement que cette clé était une imposture et qu'elle m'avait extirpé à tort quelques gratifications et remerciements. J'ai donc plié bagages et remonté les escaliers qui menaient au parking de la plage pour rentrer chez moi tout en réfléchissant à la solution qu’il me fallait trouver pour m'extraire de ce mauvais pas. Le dicton « jamais deux sans trois » s'exprimait avec pertinence. Pour me consoler de cette fastidieuse journée, il m'accorda le privilège de ramasser dix euros qui traînaient sur le chemin côtier.

 

Tout en grignotant sur le pouce, je m'interrogeais quant à la manière de gérer cette situation en envisageant plusieurs solutions : 1- je casse le Neiman et je fais un pontage entre les fils 2- je remplace le Neiman 3- je contacte un dépanneur 4- j’appelle un casseur et l’affaire est pliée. J'écartai rapidement cette solution car je n'envisageais nullement de me séparer de mon auto dans ces conditions. Pour ses loyaux et constants services, cette voiture aurait des funérailles locales. J'inviterai mes rares amis à participer à la cérémonie d'obsèques et nous célébrerons ses exploits autour d’un bon repas. La troisième solution était trop onéreuse. La deuxième me semblait la plus appropriée mais elle nécessitait d'enlever le Neiman bloqué donc de procéder à son arrachement ou destruction.

 

Malgré mes nombreuses combinaisons dans la barre du moteur de recherche de mon navigateur internet, aucune des solutions proposées ne me semblait opérante ou adaptée à la situation : toutes étaient mal renseignées, incomplètes ou insensées, comme cet enfant de douze ans garantissant qu’avec sa clef d'appartement il était en capacité de démarrer n'importe quel véhicule.

 

Je me suis couché, contrarié, il fallait que je trouve une solution en moins de 48 heures car jeudi, je serais à Paris pour voir mes enfants et aucune dérogation n’était permise. Le compte à rebours s’engagea.

 

Dès mon réveil, je me mis à pied d’œuvre, interrogeant plusieurs connaissances bricoleuses, mais aucune apparemment n’était en capacité de me donner le bon tuyau qui m’aurait permis de me sortir de cette situation.

 

Vers 19 heures, j’ai quitté les bureaux de l’association pour rentrer chez moi. En longeant les plages toujours dorées comme un joli pain exposé chez le boulanger, il m’est venu l’idée de retourner me baigner une troisième fois cet été à l’endroit même où j’avais perdu mes clefs. J’espérais juste qu’un poète égaré les ait retrouvées et les aurait accrochées au panneau d’entrée du parking comme nous le faisons, par usage, sur les chemins de randonnées.

 

J’ai rejoint la plage, regrettant de ne pas voir mes clefs accrochées mais à vrai dire il ne fallait pas trop rêver. Marchant sur les rochers, je vis alors sur l’un d’eux, un euro scintillant qui m’invitait à le ramasser. Pour en devenir propriétaire, ce dernier me contraignait à plier mes jambes voire à être presque accroupi. Au moment de le prendre avec ma main, j’aperçus en dessous du rocher, brillantes et patientes, mes clefs.

 

Il m’a fallu expliquer aux touristes qui se rôtissaient à proximité des rochers mon histoire, car de toute évidence, ils m’avaient pris le temps d’un court instant pour un cinglé. Mais au fond ils n’avaient pas tout à fait tort ! Je criais comme si j’avais trouvé un trésor, ce n’était pourtant que mes clefs !

 

 

texte: Bruno V.

7 septembre 2016 24:37

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