bruno V.

 

 

Guéthary

 

Guéthary s'endort, Guéthary s'est endormi. Ici, au fronton, les cris se sont évanouis. Le tout Paris s'est enfui, les villas s'éteignent à l'ennui, les rues bien proprettes, mais coquettes, retrouvent le calme de la simple vie... On pourrait le croire un instant, sauf que ceux qui vivent et se cachent désormais ici n'ont rien à envier à ceux qui ont construit ce village niché à flanc d’océan. En avaient-ils conscience ?

 

Aujourd’hui, chaque porte qui claque en catimini le fait sur un trésor d'une bourgeoisie très discrète mais riche à l'envi. Il n’y a pas à Guéthary de maisons riquiqui. Lorsque les baleiniers ont cessé de rentrer au port en fin de nuit, Guéthary est devenu un havre de paix exclusif, investi par des propriétaires qui ont construit de grosses maisons de famille, copiés ensuite par des investisseurs qui ont vite compris l’intérêt de s’installer dans ce paradis. Guéthary est bien loin de tous les soucis et révoltes qui grondent dans les cités et qui pourraient un jour troubler cette quiétude singulière, luxueuse, comme un tonnerre. Peut-être que mes remontées d’anar pourraient se réjouir de cela ? Non je ne le crois pas, Guéthary est un si joli pays que je sais, en errant la nuit, en faire mon petit nid. Je m'y incruste comme un étranger ; mais qui le sait ? Nul ne m'identifie.

 

Je me promène dans ce village, anonyme, dans le presque noir, mon regard picorant dans les propriétés et villas restées allumées et je ne crains nullement d'être expulsé, car ici, il n'y a jamais de contrôle d’identité, que des gens bien nés. Mais ne nous y trompons pas, ce que j'aime à Guéthary c'est son passé et les fantômes qui la hantent durant l’hiver. J’entends le cri des hommes, remontant les baleiniers, fatigués, fraternels et pressés de rejoindre le café pour tremper leurs lèvres dans l’écume des mousses dorées, des hommes admirés de leurs femmes, heureuses qu’ils soient rentrés. Je me sens alors chez moi, comme si j’étais né ici. Seuls le port et le cœur du village m’apparaissent ; les villas éteintes se confondent avec l’encre de la nuit et elles ne peuvent trouver, à mes yeux, une place plus honorable que celle du déni.

 

 

texte: Bruno V.

1 septembre 2016, 22:37

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