bruno V.

 

 

une journée ordinaire

 

Il est 23h12, résumé d’une journée ordinaire : Je me suis levé, mal réveillé, vers 7h15, la nuit perturbée par quelques démons encore à brûler. Je me suis mis debout, me relevant comme un échassier boitant, mais toujours très heureux d’être encore parmi les vivants. J’ai pris mon petit-déjeuner tranquillement, en tête-à-tête avec l’océan, puis à la dernière gorgée de mon thé Yunnan, je me suis organisé, histoire de bien profiter de la journée la plus chaude annoncée de l’année, autour d’un seul maître-mot : me stimuler ! Ma paresse contemplative peut dans le pire des cas, me laisser immobile durant des heures, aux abois du plus minuscule émerveillement naturel.

 

Je sais que tu arrives lundi. Lors de ton précédent séjour, tu t’es plainte d’une supposée présence de colonie d’acariens dans ta chambre à coucher ; alors… Vers 8h, j’ai tout nettoyé, pistant les moindres recoins ; mais c’est qui le patron ici, franchement ? Les parasites ont vite compris que je n’étais pas d’humeur à plaisanter.

 

Parallèlement, je me suis lancé dans un cycle infernal de lessives en retard (une dizaine, je crois). Après votre départ, les souvenirs de vos passages s’étaient entassés dans la buanderie (enfin, le garage) et je les retrouvais, par ci, par là, sur une serviette de plage, de table, une nappe, un paréo, un vêtement, qui me ramenaient, sans que je résiste, vers les silhouettes de vos corps se dandinant dans l’été, de notre belle Saint Jean. Et peut-être sur les traces d’un mouchoir en papier que je n’ai pas lavé.

 

Tout y est passé, … même des choses qui n’auraient pas dû : couettes, oreillers, carte de crédit… du coup sans essorage ! Cela fait belle lurette que je suis à sec. Vers 11h, je me suis lancé dans l’opération commando : « tonte et débroussaillage ». L’herbe, haute d’un mois était trop arrogante, elle m’agaçait ; je ne pouvais la supporter davantage. Alors, je lui ai coupé les pieds, non mais ! Et bien sûr, durant ce labeur fastidieux et inutile, parce que répétitif, la factrice est passée et, pas de veine, j’ai loupé la lettre recommandée ! J’ai regretté d’être allé au courrier, cela m’aurait certainement épargné un stress qui aurait presque pu gâcher mon week-end. La mission ne s’est pas passée aussi bien que je l’avais anticipée : sur la pente abrupte du terrain de mon voisin, j’ai failli me ratatiner, et ici, personne ne serait venu me chercher… c’était plutôt très périlleux. Voilà où mène ma générosité à vouloir tondre le gazon qui n’est plus dans mon bail de location. Combien d’accidents domestiques par an ? 20 000 ? J’ai failli alourdir la statistique, ouf !

 

A 13h, j’ai lâché prise et j’ai déjeuné, en tête-à-tête avec l’océan qui n’avait pas bougé et m’attendait patiemment, fidèlement. Jusqu’à 15 heures j’ai traînassé, écoutant Brad Mehldau, Marc Perrone, Higelin, No Azar, en sirotant du thé à la menthe sur ma terrasse brûlante et ensoleillée. Dans la chaleur très épaisse, j’ai repris ma mission « frotte-frotte », ponctuée par quelques textos de mes hôtes aoûtiens : Singapour, Marseille, et Miami. Les seuls de la journée, une agréable coïncidence, comme si les granules homéopathiques des doux moments passés ensemble se diluaient jusqu’à vous, apaisant mes pas mélancoliques.

 

A 17 heures, j’ai enfourché ma twin pour vous rendre visite, ma chère Renée ; à l’ombre de la tonnelle décrépite de l’hôpital, où le vent se payait l’audace d’être rafraîchissant, nous avons évoqué le tout, le rien, entremêlant pudeur et énervement, dès lors que j’osais vous reposer une question que vous ne vouliez pas entendre, ou simplement ne pas comprendre. Cela fait plus d’un an que vous vous battez contre la bête, et j’aimerais tant que le soleil d’aujourd’hui redonne vie à vos membres immobiles, presque paralysés.

 

A 19 heures votre fille est arrivée et je me suis laissé glisser à l’extérieur de votre intimité. Durant mon retour sur mon cheval d’acier, le brouillarta s’est levé, emportant avec lui mes deux dernières lessives mal accrochées. Il m’a fallu transformer mon appartement en lavoir, sans l’écho, à regret, des mégères lavandières qui passaient leur temps à cocufier leurs congénères.

 

A 19h30, j’ai dîné, désertant l’océan, en écoutant ma radio préférée (radio suisse jazz) et en me pressant ; il me fallait cueillir 3 kg de mûres avant le coucher du soleil, soit 21h et quelques broutilles, pour préparer mes confitures que j’envisageais de cuire le lendemain. Je suis rentré heureux de ce moment passé le long des mûriers, écoutant le silence couchant, brisé parfois, par le tournoiement d’oiseaux excités par les dernières ascendances de la journée, ou par ces papillons camouflés dans les bosquets piquants, que je dérangeais en piochant des dizaines et des dizaines de jolies mûres sucrées. Ces moments de partage avec la nature sont pour moi des « temps morts » où je me sens vivant, invincible et presque immortel.

 

J’ai pris le temps de rincer les fruits gorgés de vitamines en attendant de les transformer en gourmandise dont je raffole.

 

Je me suis rafraîchi, tout en écoutant le disque de Tigran Hamasyan, « Luys i Luso » et j’ai lu sur mon Smartphone quelques nouvelles du monde… fait un ultime détour par Marseille, Miami et Singapour avant de me rappeler qu’il me restait, encore, mon lit à préparer. C’est à ce moment-là qu’il m’est venu l’idée de raconter cette journée ordinaire d’un homme sur la terre, un jour d’été.

 

23h42, il serait peut-être agréable d’aller se tortiller dans mes draps gorgés de l’odeur du foin coupé.

 

Acotz, le 30 Août 2016

 

texte: Bruno V.

27 août 2016, 23:59

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