bruno V.

 

 

La promesse de l'Aube

 

Le long des trottoirs animés de Lacanau-océan, certains promeneurs du dimanche léchaient des glaces, tandis que d’autres se goinfraient de crêpes fourrées au Nutella, et quelques-uns, si peu, savouraient de croustillantes gaufres tapissées de crème chantilly.

 

Je captais avec distance cette ambiance de kermesse et j’éprouvais une forme de désintérêt condescendant pour tout ce tintamarre. Que pouvaient bien se raconter tous ces gens, si ce n’est la banalité d’un formatage incessant ?

 

Au-dessus d’eux, tous les 100 mètres, à peine, pendaient des caméras de surveillance qui tuaient toute intimité véritable. Chacun et tous ruisselaient dans des circuits imaginés par de cupides architectes dont le seul objectif est, et sera toujours, de créer un flux qui oblige forcément le passant à dégainer une carte bleue afin de rassasier ses mouflets intrépides et gourmands. L’argument mobilise les édiles municipaux des stations balnéaires qui veulent à tout prix satisfaire les associations de commerçants, relai indispensable pour gagner une élection, au détriment des aménagements poétiques de nos aînés qui ne se posaient guère de questions : leur bon goût suffisait. Pour preuve, les touristes du monde entier ne recherchent-ils pas cette authenticité ?

 

Comme des moutons dans un pré, tout ce monde faisait manifestement la même chose, broutait le même plaisir, se contait la même histoire, celle d’une coruscante journée au bord de la mer.

 

Nous avons bien trop souvent la sensation de vivre l’ « extraordinarité » de nos banalités, c’est certainement cela qui rend l’homme si insignifiant et tellement peu attractif, d’autant qu’Internet ne fait qu’amplifier nos communes originalités dont la mise en scène ne sera même pas un souvenir dans 10 ans. Plus les internautes ont accès à l’information, et de surcroît à sa diversité, et plus cette information s’impose comme universelle ; gare à celui qui s’échappe de la meute, derrière le barbelé, le loup bavant l’attend. Ses crocs sont aiguisés pour choper les récalcitrants.

 

Le monde devient chaque jour un trompe-l’œil pernicieux, et rares sont ceux qui réagissent. D’ailleurs ne seraient-ils pas de toutes les manières étouffés, dévorés par la masse ? Il est vrai que de tout temps il existe une menace pire que toutes, celle que l’on désigne communément par ce vocable « l’opinion publique ». Ce tropisme est intelligemment huilé par nos élites expertes et cyniques.

 

Heureusement, certains terriens vivent, en dehors des sentiers battus et des champs perdus, des moments d’exceptions et de singularités savantes qu’ils ne diffusent pas ; ils veulent à tout prix préserver leur havre intime des chasseurs qui extermineraient leur nid poétique en un feu de paille lumineux et éphémère. Ces non-conformistes, ces marginaux, savent pertinemment que nombreux sont ceux, surtout les médias, qui souhaitent convertir leurs cachettes en de simples attractions collectives pour un court instant. On parle alors de buzz, cette information aussi volatile que le désir humain. Je reconnais volontiers que je chasse, sans arme, cette particularité et je l’avoue, jamais je ne la partage pour mieux la protéger.

 

Aujourd’hui m’en voudrez-vous beaucoup si je fais une exception, rien que pour vous ?

 

Dans le vacarme ambiant, dans un coin de ce décor apathique, un jeune garçon lisait sur un banc, un roman de Romain Gary, « la promesse de l’aube ». Tout le monde l’ignorait. Je crois qu’il appréciait cela puisque jamais il ne releva la tête durant tout le temps où je dévorai, savoureusement, ma gaufre à la chantilly.

 

Dans ce décor d’une banalité à pleurer, il y avait une bien jolie tache qui donnait un sens à mon escapade dominicale. J’étais ravi. Le livre brillait au-dessus de nous tous, et les pensées du jeune homme inventaient le vent, balayaient le rivage, et les mots qu’elles diffusaient comme des escarbilles, mirent le feu à mes cheveux. Je regardais l’horizon, je divaguais dans le roulis des vagues. Étais-je devenu pour autant signifiant ? Non, seul cet enfant l’était, il appartenait à une espèce rare capable de s’extraire d’un monde dont les promesses ne sont plus que des fleurs séchées de cimetière.

 

Le virtuel des livres sera-t-il un jour notre ultime repli pour satisfaire vraiment notre imagination, lorsque le monde aura définitivement consommé des richesses que nous dévorons sans retenue et thérapie? Aurons-nous alors le plaisir de lire, sans se fendre le cœur, les réalités passées ?

 

 

 

texte: Bruno V.

16 février 2020, 20:37

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